Liège-Bastogne-Liège Femmes : Au-delà du Ruban Rose, la Course aux Inégalités
Le spectacle est rodé. Chaque année, Liège-Bastogne-Liège Femmes déverse son flot d'images de courage et de détermination. Les commentateurs s'extasient : "Le cyclisme féminin est en plein essor !" "Les audiences explosent !" Un récit soigneusement orchestré pour masquer des réalités bien plus sombres. Car derrière la façade de progression se cache une machine à inégalités structurelles, alimentée par des intérêts qui dépassent largement le simple cadre sportif.
Le premier angle mort, et non des moindres, est l'écart abyssal des primes. Comparer les sommes versées aux vainqueurs hommes et femmes relève d'une cruelle blague. Certes, l'Union Cycliste Internationale (UCI) a mis en place des règles minimales, mais elles restent largement insuffisantes pour assurer une viabilité économique aux équipes féminines. Cette disparité financière se répercute sur la qualité des équipements, le nombre de personnel médical, et même les conditions de logement lors des compétitions. On nous vend du courage, mais on refuse de donner les moyens de l’exprimer pleinement.
La manipulation de l’opinion passe aussi par un subtil jeu de sélection des informations. Les succès individuels sont mis en avant, créant l'illusion d'un nivellement par le haut. On évite soigneusement de parler des coureuses contraintes d'abandonner leur carrière faute de sponsors, ou de celles qui doivent cumuler un emploi à temps plein pour subvenir à leurs besoins. La précarité est rarement une image vendeuse. Les médias, souvent dépendants des annonceurs, contribuent malgré eux à perpétuer ce mythe d'une progression linéaire et sans obstacle.
L'accès aux retransmissions télévisées est un autre terrain de bataille. Si Liège-Bastogne-Liège Femmes est diffusée, c'est souvent dans des créneaux horaires moins attractifs, ou sur des chaînes moins accessibles. Les spectateurs belges pourront la suivre, selon les programmations consultées, sur la RTBF Auvio. Mais cette diffusion reste un combat permanent, une négociation sans fin avec des diffuseurs réticents à investir massivement dans le cyclisme féminin. On préfère exploiter la carte de la "nouveauté" plutôt que celle de la compétition à part entière, traitée avec le même sérieux et le même investissement que son homologue masculine.
La solution ne réside pas dans la simple augmentation des primes, bien que cela soit impératif. Elle passe par une refonte complète du modèle économique du cyclisme féminin. Les sponsors doivent être sensibilisés à l'attrait d'un public nouveau, plus jeune et plus diversifié. Les équipes doivent être professionnalisées, avec des salaires décents et des contrats sécurisés. L'UCI doit imposer des quotas de diffusion télévisée et des sanctions financières pour les événements qui ne respectent pas l'égalité des chances.
Plus fondamentalement, c'est l'esprit critique du public qui doit être stimulé. Ne plus se contenter des images léchées et des discours convenus. Poser les questions qui fâchent. Exiger la transparence sur les budgets et les salaires. Soutenir les initiatives qui promeuvent l'égalité dans le sport. Car le véritable courage, ce n'est pas seulement de pédaler sur les pavés de Liège, c'est aussi de dénoncer les mécaniques qui freinent la course à l'égalité. La course à l'égalité ne se gagnera pas en silence, elle se gagnera en brisant le silence. Mobilisons-nous.